Les DIEVX de juin invitent Caroline Muller

Ce mois-ci les Dievx de la BIV reçoivent Caroline Muller, historienne et blogueuse. Agrégée d’histoire, elle est professeure agrégée à l’université de Reims Champagne-Ardenne et soutiendra prochainement une thèse sur la direction de conscience au XIXe siècle à l’université Lyon 2.
Ses recherches touchent, entre autres, à l’histoire du genre et à l’histoire du soin et de la thérapeutique. C’est donc tout naturellement que nous lui avons demandé d’analyser l’illustration de notre calendrier du mois de juin.

Télécharger le calendrier de juin 2017.

La gravure zoomable sur notre banque d’images.

Cette caricature de Draner est parue en 1883 dans l’Almanach du Charivari. Le caricaturiste révèle le climat qui entoure les revendications des femmes qui souhaitent avoir accès à la carrière de médecin dans le dernier tiers du XIXe siècle.

La caricature suit une rhétorique plutôt classique, celle de l’inversion des sexes. On y présente les femmes dans des rôles inhabituels dans le but de tourner en ridicule celles qui revendiquent de nouveaux droits. Cette « inversion des rôles » se retrouve dans de nombreuses caricatures, par exemple celles qui visent les suffragistes. Elle constitue une violente charge contre les femmes qui voudraient devenir médecins, mais est aussi un excellent révélateur des angoisses masculines au sujet des places et rôles de genre.

When Women vote, carte postale, coll. C. H. Palczewski

Draner souligne d’abord l’incapacité des femmes à devenir médecins : elles cherchent à « se mettre à la hauteur des Princes de la science » (vignette « En consultation ») mais leurs seules qualités professionnelles sont la séduction. C’est le sens de la vignette « Vous êtes paralytique, vous voudriez marcher ? Eh bien, venez m’embrasser ». Les femmes manquent non seulement d’intelligence, mais aussi de l’autorité qui permet d’incarner la fonction de médecin : la « chirurgienne major », juchée sur son cheval, est tournée en dérision. Le titre même de la caricature renvoie à cette imposture : là où le « médecin » est une identité professionnelle à part entière, c’est la féminité qui prime dans la dénomination de « femmes médecins ». Les vignettes ne cessent de renvoyer à cette « essence » féminine : le médecin est d’abord une femme qui accouche (« mon médecin qui est en mal d’enfant ») ou une séductrice profitant de la situation pour assouvir son désir sexuel (« est-il jeune et joli garçon ? »).

On peut d’ailleurs noter que la figure de la femme-médecin est assimilée à une série de représentations du féminin enracinée dans l’imaginaire collectif : la mère, la séductrice, mais aussi la prostituée :  « Revenez-donc me voir quand je serai tout à fait bien portant – Volontiers, mais vous savez… la visite vous coûtera plus cher ». Ces différents portraits de femmes servent d’argument contre l’ouverture de la carrière médicale aux femmes. Mère ou prostituée, aucune femme n’est apte à exercer le métier de médecin : la maternité rendrait fragile et peu disponible, la prostitution interdit la fréquentation des patients pour des raisons morales.

Le lien entre le patient potentiel et la « femme-médecin » est hyper-sexualisé : toutes les situations présentées insistent sur le désir du patient vers son médecin, du médecin vers son patient, ou encore la jalousie de la femme mariée à l’égard de la femme médecin. Là aussi, on retrouve un thème favori de la littérature anti-féministe. Afin de décrédibiliser des revendications d’ordre politique, on renvoie au « bas », c’est-à-dire aux pulsions sexuelles, transformant au passage celles qui émettent des revendications en femmes immorales aux désirs insatiables.

La caricature montre la peur de l’inversion des rôles de genre et la crainte de l’indifférenciation sexuelle. C’est une thématique répandue qui gagne peu à peu la caricature, la littérature et le vaudeville : celle d’une « guerre des sexes » qui opposerait hommes et femmes. Cette peur s’inscrit dans un contexte de développement du travail salarié des femmes, qui gagnent peu à peu le droit d’exercer des métiers jusque-là réservés aux hommes.

Les femmes soldats, vaudeville de Théaulon de Lambert et Armand d’Artois. Source : Gallica.

Leur présence dans les métiers du soin n’est pas nouvelle : dans le prolongement du travail maternel et domestique, plusieurs milliers d’entre elles deviennent infirmières lorsque la profession se sécularise à la fin du XIXe siècle. Mais devenir médecin n’est pas devenir infirmière : c’est accéder à une position d’autorité scientifique et morale qui dépasse la question du soin. C’est la raison pour laquelle ces revendications déclenchent de violentes réactions anti-féministes, dont la caricature de Draner est un éclatant exemple.

Caroline Muller

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Retrouvez plus de billets de Caroline Muller sur son carnet Acquis de conscience
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