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Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques

Toulouse : Raimond Colomiez. 1629

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Bernard Joly
pour le projet ANR Philomed
Professeur émérite de philosophie et d'histoire des sciences UMR 8163 "Savoirs, textes, langage" (CNRS, université de Lille 3)
bernard.joly@univ-lille3.fr
02/05/2011

Pierre Jean Fabre (1588-1658) est sans doute l’un des alchimistes français les plus prolixes du XVIIe siècle. Originaire de Castelnaudary, il obtint son doctorat de médecine à Montpellier en 1614, non sans mal puisqu’une première version de ses thèses fut refusée pour cause de paracelsisme et d’empirisme, avec injonction de suivre la doctrine d’Hippocrate et de Galien. De retour dans sa ville natale, il y exerça cependant la médecine selon les principes spagyriques, c'est-à-dire alchimiques, inspirés de l’œuvre de Paracelse. Ses premiers ouvrages rendent compte de cette activité médicale et justifient, théoriquement aussi bien que pratiquement, cette volonté d’offrir à la médecine des bases plus sûres que celles de la tradition galénique en la fondant sur l’alchimie, qui n’était rien d’autre que la chimie de l’époque. C’est ainsi qu’après avoir publié le Palladium spagyricum en 1624, énergique défense des théories alchimiques, il fait paraître la Chirurgica spagyrica en 1626, suivie en 1627 d’un traité de pharmacologie chimique, leMyrothecium spagyricum, avec un recueil de ses guérisons les plus spectaculaires, Insignes curationes, et enfin un Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques en 1629. Il complètera cette série en 1639 par un ouvrage sur les cures thermales, l’Hydrographum spagyricum. Par la suite, son œuvre s’oriente vers une défense argumentée de la « philosophie chimique », qu’il considère comme étant la seule et véritable philosophie naturelle. Il confère ainsi à l’alchimie une dimension universelle, en faisant la clé qui permet de décrypter aussi bien les mystères de la religion (Alchymista christianus, 1632) que les allégories de la mythologie antique (Hercules piochymicus, 1634). Après la publication en 1636 d’un ouvrage de synthèse en français, l’Abrégé des secrets chymiques, puis en 1645 d’un « rempart de l’alchimie » (Propugnaculum alchymiae adversus quosdam misochymicos), son œuvre culmine avec la publication d’un vaste ouvrage encyclopédique, Panchymici, seu, Anatomia totius Universi Opus (1646), qui eut à l’époque un certain succès puisqu’il fut réédité à Francfort en 1651 et qu’il faisait partie des lectures alchimiques de Newton. A l’exception de l’Abrégé des secrets chimiques publié à Paris, tous ses ouvrages ont d’abord été édités à Toulouse.

Le Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques, publié chez Raimond Colomiez à Toulouse en 1629, fut réédité à Castres en 1653. L’ouvrage, qui fait 162 pages, est divisé en vingt-trois chapitres. Alors que ses autres ouvrages médicaux, destinés à convaincre les médecins du bien-fondé de la médecine spagyrique, sont écrits en latin, Fabre s’adresse ici plus largement en français à tous ses compatriotes du Languedoc, qu’il veut aider à lutter par eux-mêmes contre ce terrible fléau qu’est la peste. Il ne renonce pas pour autant aux développements théoriques, lorsqu’il explique que la peste résulte de la diffusion d’un « venin », substance spirituelle venant d’astres mauvais dont les effets contrarient la diffusion et l’action de l’esprit de vie, pure substance du ciel, que l’on peut aussi appeler chaleur vitale ou humide radical, pour reprendre des expressions de la médecine traditionnelle. Il s’agit là en fait d’une substance chimique, que Fabre appelait « baume naturel » dans sa Chirurgica spagyrica et c’est par les moyens de la chimie qu’il faudra donc combattre les effets néfastes de ces poisons qui, sous diverses formes, produisent les différentes espèces de pestes qui touchent les animaux aussi bien que les hommes.

Il est donc nécessaire de bien connaître les propriétés chimiques de ces multiples poisons qui provoquent la peste en vue de savoir fabriquer leurs antidotes, mais aussi et d’abord les moyens de se préserver de la propagation de la maladie. Pour permettre à l’esprit de vie de vaincre les esprits pestilentiels, il faut effectuer toutes sortes d’opérations de désinfection et de purification, savoir se tenir à distance des personnes et des lieux infectés, suivre un régime alimentaire adapté. Le feu, qui réduit tout en cendres, permettra la production de sels incorruptibles qui s’opposeront à la progression du poison. Mais l’alchimie offre aussi au médecin des moyens spécifiques, bien plus efficaces que les saignées et sangsues qui affaiblissent le malade. Parce que l’homme est un abrégé de la nature, c’est de la calcination du cadavre des malades que l’on tirera des sels efficaces à la guérison, sans se priver pour autant de substances tirées d’animaux réputés pour leurs vertus d’antidotes contre les venins, comme les crapauds, les araignées et les serpents. Mais ce sont aussi les végétaux et surtout les minéraux qui offrent d’excellents remèdes, pourvu que l’on sache, par des opérations chimiques appropriées, en extraire le sel dans lequel se trouve déposé l’esprit vital du monde. L’antimoine, en particulier, loin d’être le poison dénoncé par certains, constitue la base des préparations les plus efficaces contre la peste.

Il y a donc pour Fabre une homogénéité fondamentale de la nature, dont les trois règnes sont formés des mêmes principes chimiques. Pour lui, l’alchimie n’offre pas seulement les moyens de fabriquer de nouveaux remèdes, plus efficaces que ceux de la tradition galénique. Elle fournit aussi et surtout une conception générale du fonctionnement unifié du monde et de l’homme qui permet de mieux comprendre les processus de déclenchement et de propagation de la peste, et par là même de lutter plus efficacement contre elle.

 

Éléments bibliographiques

Allen Debus, The chemical philosophy. Paracelsian science and medicine in the sixteenth and seventeenth centuries, 2 vol., New-York, Science History Publication, 1977.

Hiro Hirai, Le concept de semence dans les théories de la matière à la Renaissance de Marsile Ficin à Pierre Gassendi, Turnhout, Brepols, 2005, en particulier le chapitre 9, « Pierre Séverin ».

Bernard Joly, La rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, avec le texte latin, la traduction et le commentaire du Manuscriptum ad Fridericum de Pierre-Jean Fabre, Paris, Vrin, 1992.

Bernard Joly, « Profession médicale et savoir alchimique : luttes et enjeux du Moyen Âge au XVIIe siècle »,Spirale, Revue de recherches en Education, n° 13, 1994, pp. 17-42, http://spirale-edu-revue.fr/IMG/pdf/2_JOLY_SPI13_Fr.pdf.

Bernard Joly, « Les liaisons chimiques entre patients et médecins au XVIIe siècle », dans Claire Crignon-De Oliveira et Marie Gaille (éd.), Qu'est-ce qu'un bon patient? Qu'est-ce qu'un bon médecin? Réflexions critiques, analyses en contexte et perspectives historiques, Paris, Editions Seli Arslan, 2010, pp. 220-233.